ASP : QUELS DISPOSITIFS CONTRACTUELS ? (2ème partie)
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I - Les spécificités du contrat d'ASP
De par son caractère novateur, le contrat d'ASP soulève plusieurs difficultés notamment au regard de sa qualification, des relations pré-contractuelles, du périmètre de services et de l'engagement de niveau de services.
1. Du concept à la qualification
* ASP et concepts voisins
Le concept d'ASP s'apparente au service bureau et à l'infogérance applicative.
Dans les années 60, le service bureau permettait aux entreprises non équipées d'ordinateurs de puissance suffisante de faire appel à un prestataire extérieur chargé de traiter, sur ses matériels et programmes, les informations brutes qui lui étaient communiquées. Le prestataire retournait alors à l'entreprise les informations une fois traitées.
Le concept d'ASP se différencie du service bureau à la fois par les technologies employées mais surtout par l'importance des services fournis par le prestataire ASP qui dépasse le simple traitement d'informations.
L'infogérance applicative permet à une entreprise de confier à un prestataire la gestion d'un ensemble d'applications informatiques, celle-ci conservant ses droits sur les matériels et progiciels.
Le modèle ASP se différencie de l'infogérance dans la mesure où l'entreprise utilisatrice n'est jamais propriétaire de l'application mais dispose d'un droit d'utilisation.
On peut définir le concept ASP comme la mise à disposition de programmes informatiques assortis de services auxquels l'entreprise peut accéder à distance (Internet, VPN, ou autres réseaux privés) moyennant le versement d'un droit d'accès à l'usage ou par période.
* La qualification juridique
Au plan juridique, plusieurs qualifications sont envisageables, à savoir la vente, le louage de chose ou d'ouvrage.
D'emblée, la qualification de vente peut être écartée, puisqu'il n'existe aucun transfert de propriété des applications informatiques du prestataire ASP vers le client.
La qualification de contrat de location semble mieux convenir.
Aux termes de l'article 1709 du Code civil, "le louage de choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer."
Dans le contrat d'ASP, le client bénéficie effectivement d'un droit d'utilisation des logiciels moyennant le versement d'une redevance.
Cette qualification ne peut cependant pas être retenue, car elle ne prend pas en compte l'ensemble des services fournis autour de l'application.
En revanche, la qualification de louage d'ouvrage semble mieux adaptée.
En effet, le contrat de louage d'ouvrage ou d'entreprise, défini à l'article 1710 du Code civil, est celui "par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre moyennant un prix convenu par elles". Il ressort de cet article que la caractéristique essentielle de ce contrat est la réalisation d'un travail spécifique par le prestataire sur les indications particulières du client.
La qualification de contrat d'entreprise s'apparente d'avantage au concept d'ASP pleinement axé sur la fourniture de services.
Par conséquent et si l'on devait retenir une qualification unique du contrat d'ASP, celle de contrat d'entreprise serait la plus appropriée. Néanmoins, on peut s'interroger sur le bien fondé de retenir la qualification unique de contrat d'entreprise, étant observé qu'un contrat de licence, même restreint, coexiste.
En effet, le logiciel étant soumis à la législation protectrice du droit d'auteur, son utilisation demeure encadrée par les dispositions du Code de la propriété littéraire et artistique.
Les parties ont donc tout intérêt à prévoir dans le contrat d'ASP, à titre accessoire, une licence d'utilisation des applications informatiques objet du contrat.
De ce fait, le client final ne s'expose pas à une quelconque action en contrefaçon, et le prestataire ASP peut strictement encadrer l'utilisation des applications informatiques mises à disposition.
2. Les aspects pré-contractuels
* L'expression des attentes du client final
Le modèle ASP permet la mise à disposition d'applications informatiques, de la plus simple à la plus complexe.
Il est bien évident que les attentes d'un client pour la mise en œuvre d'un logiciel de calcul de paye ne sont pas les mêmes que celles liées au déploiement d'un Progiciel de Gestion Intégrée(a).
Pour les applications simples, le contrat d'ASP ne pose pas de problèmes majeurs.
En revanche, on s'aperçoit dans la pratique que des applications complexes qui n'ont pas été suffisamment décrites dans les documents précontractuels peuvent être source de litiges lors de l'exécution du contrat.
La rédaction d'un cahier des charges précis, établi sous la responsabilité du client final, permet le plus souvent d'éviter ces déconvenues. Ce document détaille en effet les applications informatiques et services attendus, la personnalisation des interfaces, les paramétrages, les modalités de transfert des données, les modalités d'accessibilité, la mise en place du reporting, l'évolutivité de la solution, la formation et l'assistance des utilisateurs, la documentation, etc.
C'est au vu d'un cahier des charges précis que le prestataire ASP est à même de formuler une offre de services pertinente.
* Une obligation de conseil renforcée
Comme tout prestataire informatique, le prestataire ASP est tenu à une obligation de conseil à l'égard de son client qui dépasse la simple obligation de fournir des informations objectives sur les applications proposées, et lui impose de préconiser la solution la plus adaptée aux besoins clairement exprimés par le client.
Cette obligation est renforcée lors de la mise à disposition d'applications complexes telles que les Progiciels de Gestion Intégrée. Ce type de progiciel, compte tenu de sa complexité, est susceptible de bouleverser l'organisation et la gestion d'une entreprise. Aussi, dans certains cas, le prestataire ASP peut être conduit à mettre en garde son client potentiel contre la mise en place d'une solution surdimensionnée par rapport à ses besoins présents et futurs.
Cette obligation ne doit pas être prise à la légère, elle est parfois durement sanctionnée par les tribunaux qui peuvent prononcer la résolution ou la résiliation du contrat et condamner le prestataire au paiement de dommages-intérêts. La jurisprudence assimile, en effet, les manquements à l'obligation de conseil pré-contractuelle, à une défaillance contractuelle du prestataire.
Cette sanction est cependant tempérée, en particulier lorsque le client est conseillé par un professionnel dans le cadre d'une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage.
3. Le périmètre de service
* La nature du service
Le périmètre de service détermine l'étendue exacte des prestations fournies par le prestataire ASP.
Celles-ci portent notamment sur :
- Le droit d'accès à l'application informatique mise en place sur l'infrastructure technique du prestataire ASP. En pratique, le client final dispose d'un droit personnel d'utilisation de certains modules de l'application avec des conditions d'accès (nombre et liste des utilisateurs autorisés, éventuellement authentification des accès fondée sur l'utilisation de la signature électronique(b) et des conditions d'utilisation prédéfinies (volume des informations traitées, plages horaires d'accès et de traitement, niveau d'évolutivité et de montée en charge de la solution).
- Le traitement, l'hébergement et la sauvegarde des données. Sont définis à cette occasion :
- Le format de transmission des données (type de fichiers), la reprise éventuelle de l'historique des données (nombre d'années), les outils d'interface à utiliser, les modalités de sauvegarde des données, etc.
- Le format de rapatriement des données (plages de couverture horaires, format des fichiers transmis, contrôle qualité).
- L'archivage des données. Il est le plus souvent précisé dans ce cadre :
- Le format des fichiers archivés,
- La durée d'archivage,
- Les modalités de visualisation et de rapatriement des documents numériques,
- etc.
- La fourniture de services annexes. En pratique, il s'agit également de déterminer la teneur de ces services et notamment :
- Le paramétrage de l'application,
- L'interfaçage,
- L'assistance téléphonique à l'utilisation des applications (hot line premier et second niveau),
- La maintenance des applications (maintenance corrective ou parfois évolutive par la fourniture de mises à jour ou de nouvelles versions des applications),
- La formation du personnel (prestation plus rarement comprise dans le cadre du contrat d'ASP).
- La fourniture d'infrastructures télécoms qui est généralement restreinte. Le client supporte souvent la charge des liaisons télécoms jusqu'à la plate-forme ASP.
Le périmètre de services n'inclut pas l'intégration de l'application informatique fournie en mode ASP dans le système d'information du client. Pourtant cette application doit pouvoir communiquer avec les autres applications internes de ce système d'information. Il incombe donc au client de prévoir cette intégration. Cette intégration devrait être facilitée avec l'émergence de la technologie EAI(c) destinée à standardiser la communication entre applications qui n'ont pas été conçues pour communiquer entre elles.
* Responsabilité du prestataire ASP
Le niveau de précision des prestations proposées conditionne la nature de l'obligation pesant sur le prestataire ASP.
Celui-ci peut difficilement s'engager sur un résultat, étant observé qu'en matière d'applications informatiques, on parle généralement de fiabilité plutôt que de résultat.
Toutefois, qualifier l'obligation du prestataire ASP d'obligation de moyens, ne résout pas toutes les difficultés.
Dans ce cas, le client ne peut mettre en cause la responsabilité du prestataire que s'il prouve la faute de celui-ci. Une telle preuve est souvent difficile à apporter compte tenu de la complexité des prestations ASP, et peut être à l'origine d'un déséquilibre du contrat.
A cet égard, une convention de preuve peut être mise en place afin de déterminer, indépendamment de la qualification d'obligation de résultat ou de moyens, quelle partie supporte la charge de la preuve et selon quelles modalités.
Les parties auront tout intérêt à trouver un compromis équitable qui permet au client d'être suffisamment protégé et au prestataire ASP de ne pas voir sa responsabilité engagée à la moindre défaillance du système.
* Modèle économique
Dans le cadre d'un contrat de licence de logiciel classique, la redevance de licence est souvent déterminée en fonction du nombre d'utilisateurs exploitant le logiciel sur un site donné.
Dans le modèle ASP, en raison de l'absence d'implantation physique des applications informatiques en un site donné, le schéma traditionnel de détermination des redevances est inadapté.
Pour pallier cette difficulté, la redevance peut être déterminée en fonction du nombre de postes ayant accès aux applications et du nombre d'utilisateurs. Ces deux critères permettent d'asseoir la redevance sur un nombre d'utilisateurs simultanés indépendamment de leur situation géographique.
D'autres critères peuvent bien sûr être adoptés tels que le volume des informations échangées.
4. L'engagement de niveau de services ou Service Level Agreement
Ce document permet de déterminer le niveau de performance attendu par le client et l'étendue des garanties apportées par le prestataire ASP. Il s'appuie sur un ensemble d'indicateurs de qualité qui font l'objet de mesures de performance.
En pratique, cet engagement porte autant sur les services applicatifs que sur l'accès à ces services via les liaisons télécoms.
Il s'agit en particulier de mesurer la disponibilité des applications et du réseau, la rapidité du transfert des données, les délais maximum d'interruption, la fréquence des sauvegardes, les délais de restauration des données et des applications, et la performance de la sécurité du système.
Les indicateurs de qualité pertinents sont parfois difficiles à définir. C'est pourquoi il existe sur le marché des logiciels de SLA qui permettent d'assister les parties dans le choix et la combinaison de ces indicateurs.
L'engagement de niveau de services est le plus souvent accompagné de sanctions pécuniaires applicables lorsque le seuil de performance n'est pas atteint.
Le client peut ainsi prétendre à une diminution de la redevance due ou bien au versement d'une indemnité compensatrice.
Juridiquement, cette sanction peut être qualifiée de clause pénale.
Aux termes de l'article 1152 du Code civil, la clause pénale est celle par laquelle les contractants évaluent forfaitairement et par avance les dommages et intérêts dus par le débiteur en cas d'inexécution totale, partielle ou tardive du contrat.
La clause pénale est la sanction qui semble le mieux à même de répondre à la non exécution de l'engagement de niveau de services.
Par son caractère essentiellement comminatoire, elle a pour fonction d'assurer l'exécution des obligations souscrites. En outre, elle peut tendre à la fois à sanctionner un retard dans l'exécution d'une obligation (pénalité moratoire) ou une inexécution totale de l'obligation (pénalité compensatoire).
Elle apparaît donc comme une sécurité contractuelle pour le client, créancier des obligations, qui reste libre de l'actionner.
La rédaction des clauses pénales doit être effectuée avec soin en raison de la faculté pour le Juge d'en diminuer le montant s'il considère celui-ci comme excessif.
Les parties peuvent enfin prévoir qu'en cas de violation répétée de l'engagement de niveau de services, le contrat pourra faire l'objet d'une résiliation aux torts du prestataire ASP.
(a) Le Progiciel de Gestion Intégrée (PGI) ou Enterprise Ressource Planning (ERP) est une suite intégrée d'applications ou de modules permettant de traiter et de gérer les ressources internes de l'entreprise (ressources humaines, comptabilité, finance, etc.).[retour].
(b) Cf. La signature électronique sur notre site, [retour].
(c) Enterprise Application Integration (EAI) : projet d'intégration qui consiste à mettre en place une plateforme commune d'EAI vers laquelle toutes les applications convergent et collaborent, au lieu de développer de multiples interfaces spécifiques entre les différentes applications.[retour].
© Frédéric Mascré - mai 2002